L’arrivée de Netflix en France
Netflix est un service de VOD aujourd’hui très connu, censé être disponible en France à la rentrée 2014. Son arrivée risque de bouleverser les acteurs nationaux du secteur qui ne sont peut-être pas prêts à faire face à cette concurrence: dans cet article je vais exposer mon analyse des éléments qui constituent le marché actuel Français et qui vont favoriser son arrivée, ou au contraire y poser des difficultés.
Il est d’abord nécessaire de présenter Netflix. Petit historique:
Netflix était à l’origine un site internet proposant un service de location de DVD par correspondance, officiellement lancé en 1998. Dès 1999 le service opte pour un modèle d’abonnement mensuel: il n’y a plus de limite de temps pour l’abonné, seulement une limite du nombre de DVD que l’abonné peut avoir en sa possession simultanément, qui dépend de l’offre à laquelle il a souscrit.
Reed Hastings, directeur et co-fondateur de la boîte (et membre du conseil d’administration de Facebook) multiplie les partenariats avec les studios en 2001. Netflix accepte de reverser une partie des recettes des abonnements aux studios lorsque leurs films sont loués, contre des tarifs très avantageux à l’achat de DVD pour Netflix. Un modèle économique qui était déjà exploité par Blockbuster, une chaine de magasins de location de VHS (puis de DVD) fondée en 1985 à Dallas au Texas. L’entreprise a d’ailleurs fait définitivement faillite en septembre 2010 : elle avait totalement raté le tournant d’internet. Tournant qui va structurer le coeur du Netflix que l’on connaît aujourd’hui.
Retour en 2007, l’augmentation générale de la vitesse des connexions Internet des foyers permet à Netflix de proposer à ses abonnés un service de films en flux continu. D’abord destiné aux PC Windows et Mac, dès 2010 le service s’exporte sur les consoles de jeu (PS3, Xbox 360..) ainsi qu’iOS. L’ensemble du catalogue n’était pas encore accessible mais la voie du contenu dématerialisé était bien prise par Netflix. Et ça ne fut pas anodin: en 2011, en soirée (heures de pointe), on constate que presque un tiers du trafic Internet est généré par Netflix aux Etats-Unis !
Netflix s’est exporté et est aujourd’hui disponible au Canada, en Amérique latine mais aussi dans quelques pays d’Europe (Finlande, Norvège, Danemark..) en plus des Etats-Unis où 10 000 programmes sont disponibles.
Les prochains sur la liste sont l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Suisse et bien sûr la France.
La France est un marché particulièrement attirant
Les français sont les clients rêvés pour Netflix: en plus d’être les plus gros consommateurs de films en Europe, ils sont aussi les plus gros consommateurs de séries américaines du vieux continent.
Si le « frensh bashing » est à la mode, les français ne peuvent clairement pas cacher leur intérêt pour la culture cinématographique américaine: 51,1% des places de cinéma vendues en France entre mai 2013 et mai 2014 concernaient des films américains, contre 37,8% pour les films français (source).
Le prix d’une place de cinéma
Le prix de l’abonnement serait compris entre 6 et 12 euros mensuels. C’est donc avec le prix d’une place de cinéma qu’il sera possible de se gaver d’oeuvres parmi plus de 100 000 vidéos (films et séries) dont le catalogue de Netflix est composé.
Le principal acteur français qui risque de gueuler c’est Canal + : fonctionnant sur un modèle d’abonnement de 25€ à 40€ par mois mais ne proposant pas un service donnant autant de liberté au consommateur, le groupe a même tenté d’anticiper cette concurrence en lançant Canal + Séries. Ici, le contenu que l’on verra va bien-sûr dépendre de la programmation de la chaine et il n’est nullement question d’interactivité ou d’un choix de contenu par l’utilisateur.
C’est comme comparer la radio à un service comme Deezer ou Spotify (qui au passage ont beaucoup changé les habitudes des consommateurs et provoqué une petite révolution 2.0 du marché de la musique): il y a là un retard considérable et ce modèle n’est peut-être plus vraiment d’actualité, et en tout cas n’est plus en croissance depuis longtemps. Je regarde très peu la TV et je trouve idiot qu’à l’heure d’Internet ce soit le fournisseur de contenu qui m’impose son choix, quand on sait que le contenu recherché/désiré n’a jamais été aussi proche et à portée de l’utilisateur.
Convertir les pirates en clients ?
Tout comme Spotify souhaite toucher des clients potentiels parmi les pirates, Netflix sera probablement pour beaucoup de monde en France l’occasion de rentrer dans les rangs. Spotify aurait en effet provoqué une diminution du piratage de musique de 25% de 2009 à 2011 en Suède.
En effet, il n’y a probablement pas de chiffres clairs à ce sujet, mais il est évident qu’une partie de ces consommateurs de l’Hexagone piratent les oeuvres car l’offre légale à prix raisonnable est quasi inexistante (location de films à 5€ les 48h), difficultés pour trouver les versions désirées (indisponibilité des VO, accès aux services difficiles voire impossible sur certaines plateformes, DRM contraignantes..). Il est probable que beaucoup de monde attende avec impatience que le modèle de Netflix soit accessible en France pour se ranger et arrêter de se torcher avec les lettres envoyées par la Hadopi .
L’obstacle de l’exception culturelle
Aurelie Filippetti, ministre de la culture, a déclaré dans le JDD « Netflix devra favoriser le développement de la diversité culturelle, comme le font les salles de cinéma, les chaînes de télévision et des plateformes françaises comme CanalPlay Infinity, VidéoFutur, FilmoTV, UniversCiné, en diffusant un certain nombre d’œuvres françaises » . Le protectionnisme n’est peut-être pas appliqué dans beaucoup de secteurs en France et n’est peut-être pas non plus la solution face à la mondialisation, mais on constate que c’est ici un concept cher aux acteurs locaux de l’industrie.
Cette exception culturelle représente surtout selon moi des oeuvres qui n’intéressent plus grand monde, dans lesquelles on voit régulièrement les mêmes acteurs, et qui coûtent bien trop cher. Depuis plus de 20 ans, des centaines de films français ont été produits et subventionnés, pour simplement payer des réalisateurs et des acteurs médiocres. Les films français reposent sur une économie de plus en plus subventionnée, et sont de moins en moins rentables, voire pas du tout: 90% des films français ne sont pas rentables !
Évidemment certains de ces films sortent du lot, mais auraient ils réellement eu besoin de cet environnement économique pour voir le jour?
Netflix va devoir se rapprocher des acteurs locaux que sont Canal ou Orange, afin de co-produire des films et séries françaises ou européennes et ne pas la jouer solo. Ceci afin de ne pas prendre une trop grande avance sur les acteurs français, qui ne sont à priori pas de taille pour lui résister.
L’exception culturelle complique donc l’arrivée de Netflix en France mais la législation du secteur dans notre pays ne va pas aider non plus: il n’est possible d’exploiter un film en VOD que 36 mois après sa sortie au cinéma, et de tels services doivent reverser entre 12% et 15% de leur chiffre d’affaire pour financer cette même exception culturelle.
Les services de VoD français comme Canal + Infinity sont soumis à cette « chronologie des médias » et versent cette redevance car ils sont basés en France: c’est un modèle obsolète contreproductif qui gagnerait à être changé (ou les délais raccourcis !). À mois qu’il y ait rapidement du changement dans la législation ce qui serait inhabituel tant nos politiques sont en retard avec les nouvelles technologies, Netflix va donc apparemment devoir s’accommoder de traditions contraignantes si elle veut conquérir notre territoire. Le principe de l’exception culturelle française va peut-être mener les résidents français à ne pas pouvoir regarder certaines oeuvres récentes sur Netflix lorsque le site sera officiellement disponible chez nous.. comme toujours, le piratage a de beaux jours devant lui !
Canal + est concurrencée de manière frontale par Netflix mais ce sont l’ensemble des grands groupes de télévision qui voient la firme d’un mauvais oeil, outre le fait qu’elle va faire monter les enchères sur les prix des droits de certaines diffusions, elle risque aussi en effet de bouleverser le secteur en donnant un grand coup de pied dans la fourmilière..
L’argument du crowdsourcing
La société a aussi un train d’avance concernant les recommandations de contenu: après avoir stocké 10 ans de données sur les habitudes de consommation audiovisuelles de ses abonnés, Netflix a pu développer des algorithmes très performants: trois quarts des contenus consommés proviennent de la recommandation, très loin devant la fonction de recherche.
Ces recommandations fonctionnent à partir de deux éléments complémentaires: une collecte des données utilisateurs très précise (les clics, les recherches, les appareils utilisés, à quelles heures..) ; et l’hyper catégorisation.
Cette hyper catégorisation consiste pour Netflix à catégoriser les films selon certains critères qui vont de la date de sortie aux lieux de tournage en passant par le degré de violence. Les 40 employés de Netflix associés à cette tâche ont créé plus de 76 000 genres de films en associant ce genre de critères, un chiffre nettement plus élevé que le nombre de programmes disponibles sur la plateforme ! Tout ceci dans le but de créer des synergies entre les oeuvres, afin d’en exploiter les similitudes et proposer à l’utilisateur des suggestions pertinentes et personnalisées, en cohérence avec l’historique des oeuvres visionnées, et en fonction du support utilisé (console, tablette, ordinateur..). Netflix va donc jouer à Big Brother en fliquant les moindres faits et gestes de chaque utilisateur (mais aussi de chaque oeuvre dans un sens..): on connaît désormais la musique, les gros acteurs du web en abusent tous aujourd’hui et on ne peut qu’espérer que c’est réellement la qualité de l’expérience globale du service qui en profitera.
J’utilise Deezer et depuis quelques temps le service a mis en place un système de flux avec des recommandations basées sur les écoutes récurrentes de l’utilisateur, les artistes et styles appréciés (pour imiter Spotify, certes), et force est de constater que c’est une fonction très intéressante: j’ai hâte de voir ce que ce concept va donner sur un immense catalogue de films et de séries !
Le service de Netflix n’est pas légalement accessible en France actuellement mais il est possible d’en profiter en passant par un proxy, qui donnera l’illusion aux serveurs que vous êtes localisé dans un pays ou le service l’est légalement. C’est un peu gênant car cette méthode bride énormément le débit, les données ayant à passer par plusieurs ordinateurs avant d’arriver sur le votre. Et on fait difficilement plus gourmand en données que la vidéo.
À moins de disposer d’une connexion privée depuis les Etats-Unis (ou depuis un des pays dans lesquels Netflix est disponible) le service risque de ne pas être accessible de manière optimale avant d’être réellement disponible en France: rendez-vous donc à la fin de l’année 2014. [◆]
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Plus d’articles bientôt
Timothée Fournié-Taillant, le Pixel Conscient
Stylé le blog frère, continue comme ça!
C’est mortel !
J’adore le concept mon manager vient de me montrer je vais sûrement installer des écrans 4K à mes concerts !
Waouh ! Cool ton site ….. tu vas bientôt pouvoir m’aider à réaliser le mien :-)
Vivement que netflix arrive car je pourrai résilier canal+ canalisât qui prend ses abonnés carte seule pour des pigeons en leur causant payer le même tarif que tous les autres abonnés sans qu’ils ne puissent bénéficier de la HD (obligation d’itiliser des décodeurs obsolètes et lents avec des enregistrements cryptés un utilisables en cas de panne)
Bon travail Thimothé !
C’est galère de trouver des sujets précis sur ce que l’on recherche, ton article lui apporte vraiment l’essentiel
J’ai hâte. Marre de Canal+ qui fait payer des sommes astronomiques. Netflix pourra faire changer les choses !
La restriction concernant la chronologie des médias l’est uniquement pour les contenus qui ne sont pas produits à l’international : http://www.inaglobal.fr/television/article/netflix-fera-t-il-exploser-le-modele-audiovisuel-francais
Merci pour cette contribution !
Très bon papier!